samedi 30 août 2008

[Présent] Les vocations en France

Présent, 30 août 2008
Les évêques des diocèses de France ordonnent, chaque année, une petite centaine de prêtres, à laquelle s’ajoute une trentaine de religieux ordonnés prêtres. Les chiffres sont stables, en fait ils stagnent. Considérée sur la longue durée, on peut dire que la crise des vocations sacerdotales n’a pas été enrayée : 595 ordinations sacerdotales en France en 1960, 161 ordinations en 1975 (pour le seul clergé diocésain). La baisse s’est donc poursuivie.
Au moins la moitié des
diocèses français n’a pas ordonné de prêtres cette année. Certaines n’ont pas et de cérémonies d’ordinations depuis plusieurs années. L’avenir n’est pas plus prometteur puisqu’il n’y a eu que 133 entrées dans les séminaires diocésains pour l’année 2007-2008.
Pour s’en tenir à la situation de l’Eglise de France, on doit tenir compte aussi des séminaires et des ordinations qui ont lieu dans les fraternités, instituts et couvents traditionnels (qu’ils soient en communion complète ou non avec Rome est une autre question). Huit ordinations sacerdotales à Ecône pour la Fraternité Saint-Pie X en juin 2008 ; quatre ordinations sacerdotales à Wigratzbad pour la Fraternité Saint-Pierre (auxquelles se sont ajoutées quatre ordinations aux Etats-Unis) ; deux ordinations pour l’Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre.
Les candidats au sacerdoce en France sont trop peu nombreux pour que chaque diocèse ait pu conserver, comme jadis, son propre séminaire. Il n’y a plus que vingt-deux séminaires diocésains en France (auxquels s’ajoute le Séminaire français de Rome). Face à cette crise diocésaine des vocations, les fraternités et instituts traditionnels apparaissent comme plus vivaces : six séminaires pour la FSSPX, deux séminaires pour la FSSP, un séminaire pour l’ICRSP, un séminaire pour l’IBP, sans parler du clergé régulier traditionnel.
En 1976, l’année-même où, pour la première fois, Mgr Lefebvre ordonnait des prêtres à Ecône sans l’accord de Rome, l’historien Paul Vigneron publiait un ouvrage très important : Histoire des crises du clergé français contemporain (Téqui). Il y montrait que la crise des vocations avait commencé dès l’après-guerre, soit trente ans plus tôt. Il ne pouvait imaginer qu’elle allait perdurer plus de trente ans encore.
Paul Vigneron voyait deux raisons à cette crise : « la remise en cause des méthodes apostoliques » et « la remise en cause de la spiritualité » (notamment la spiritualité sacerdotale). En conclusion, il s’inquiétait : « la longueur de la crise favorise l’hérésie », hérésies répandues dans le clergé comme chez les fidèles.
Lors de la dernière cérémonie d’ordination à Notre-Dame de Paris, le 28 juin dernier, le cardinal Vingt-Trois a, dans son homélie, fait preuve d’un ardent volontarisme : « L’année scolaire prochaine, je demanderai à chaque communauté du diocèse de Paris de faire quelque chose, selon l’identité et le style de la communauté, pour réfléchir et prier pour les vocations de prêtres. Il n’y aura pas de prêtres si on n’en parle pas ; il n’y aura pas de prêtres si on n’en demande pas ; il n’y aura pas de prêtres si on n’en souhaite pas ! Pour les souhaiter, pour les demander, pour en parler, il faut que nous nous mobilisions tous, que tous nous soyons désireux de voir de nouveaux prêtres prendre la relève des générations précédentes, non pas pour répéter indéfiniment ce qui a toujours été fait, mais pour répondre aux exigences de la mission d’aujourd’hui. »
Ce volontarisme est louable. Il faut certes « parler » et « se mobiliser » pour les vocations. Prier sera aussi indispensable (« Mon Dieu, donnez-nous des prêtes ; donnez-nous de saints prêtres ; donnez-nous beaucoup de saints prêtres »). Mais, dans l’histoire — du moins dans celle des derniers siècles —, le terreau premier des vocations ont été la famille et l’école. Des familles chrétiennes, pratiquantes, priantes et des écoles chrétiennes, dirigées ou, du moins, animées spirituellement par des prêtres.
Nombre des prêtres ordonnés chaque année à Ecône sont d’anciens élèves des écoles de la Fraternité Saint-Pie X. Si la FSSPX compte aujourd’hui 486 prêtres et 6 séminaires c’est, en partie, parce qu’elle dirige 88 écoles. Si les évêques de France avaient le courage et la volonté d’imprimer vraiment une identité catholique aux collèges et lycées « privés » qui dépendent d’eux, ils auraient plus de séminaristes. Une identité qui passe par la catéchèse, la prière mais aussi par le contenu des cours et un esprit général.

Yves Chiron

samedi 23 août 2008

[Présent] Les parents de Ste Thérèse de Lisieux: un modèle pour tous les parents

Présent, 23 août 2008

Le 19 octobre prochain aura lieu, dans la basilique de Lisieux, la béatification de Louis et de Zélie Martin, les parents de Marie-Françoise Thérèse Martin, connue pour l’éternité désormais sous le nom de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus ou sainte Thérèse de Lisieux.

C’est la deuxième fois que l’Eglise béatifie un couple marié. La première fois, c’était en 2001 avec la béatification de Luigi et Maria Beltrame Quattrochi, parents de quatre enfants : deux fils devenus prêtres, une fille devenue religieuse et une autre qui a vécu comme vierge consacrée.

Les époux Martin furent les parents de neuf enfants, dont quatre moururent en bas âge. Sainte Thérèse dira : « Le bon Dieu m’a donné un père et une mère plus dignes du Ciel que de la terre, ils demandèrent au Seigneur de leur donner beaucoup d’enfants et de les prendre pour Lui. Ce désir fut exaucé, quatre petits anges s’envolèrent aux Cieux, et les cinq enfants restés dans l’arène prirent Jésus pour Epoux. » Les cinq filles de la famille Martin entrèrent en effet au couvent et si l’une « revint dans le monde », elle y vécut « comme étant dans le cloître ».

Les parents Martin ont tous deux une grandeur d’âme exceptionnelle et une foi admirable. Tous deux, avant de se marier et avant de se connaître, ont voulu se consacrer totalement à Dieu : lui en se présentant au monastère du Grand-Saint-Bernard, elle en demandant son admission chez les Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. Dans les deux cas, ce leur fut refusé. Mais on comprendra que leur désir, non exaucé, de vie religieuse leur ait fait comprendre et accepter la vocation religieuse de leur cinq filles.

Leur grand désir de perfection des époux Martin fera aussi que, pendant neuf mois après leur mariage, ils garderont une chasteté absolue. Puis, sur « l’injonction d’un confesseur clairvoyant », ils abandonneront cette voie très exceptionnelle. Là aussi, on comprend que pour l’avoir pratiquée un temps dans leur mariage, Louis et Zélie Martin ont d’autant mieux accepté et compris la valeur de la virginité perpétuelle vécue dans la vie religieuse.

L’Eglise, en offrant, aux fidèles, les époux Martin en modèles, met donc à l’honneur les aspirations à la vie religieuse (même quand elles étaient trompeuses) et met à l’honneur la virginité (même temporaire). Sans oublier la chasteté, car il est vrai, comme l’a rappelé Jeanne Smits le 15 août dernier, que c’est à la lumière du don total à Dieu dans la virginité consacrée « que se mesure la chasteté conjugale ». Nos contemporains, aveuglés, désensibilisés et bouleversés quotidiennement par l’invasion pornographique, ont oublié le sens et la valeur de la virginité et de la chasteté.

Est-ce à dire que la vie des époux Martin et de leurs enfants fut, dans le siècle, comme celle d’une famille au couvent ? L’image, qui risque d’être mièvre, est fausse. En devenant épouse puis mère de famille, Zélie Martin n’a pas abandonné son métier de dentellière, elle est restée à la tête d’une petite entreprise de fabrication de la célèbre « dentelle au point d’Alençon ». Son mari va en commercialiser la production, avec de fréquents voyages à Paris.

Louis Martin, s’il va à la messe tous les matins et s’il fait partie d’une Congrégation du Saint-Sacrement, n’est pas comme un moine vivant dans le siècle. Il aime la pêche, jouer au billard, fabriquer son cidre, chanter des chansons pour ses enfants. Il est aussi, ce qu’on appellerait aujourd’hui, un « chrétien engagé ». Il adhère à l’Œuvre des Cercles catholiques d’Albert de Mun et de René de la Tour du Pin, il assiste aux conférences qu’ils organisent, il est membre des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul, il est abonné à la Croix, il aime les pèlerinages (à Notre-Dame des Victoires de Paris, à Chartres, à Lourdes), il aime les retraites à la Trappe de Mortagne.

Zélie Martin, tertiaire franciscaine, est active, spontanée, tandis que son mari est plus silencieux et discret. Leur complémentarité fait leur force et leur bonheur. Les épreuves, pourtant, ne leur ont pas manqué. En 1877 – la future Thérèse de l’Enfant-Jésus avait quatre ans et demi –, Zélie Martin meurt d’un cancer du sein. Louis Martin, atteint d’une artériosclérose cérébrale à la fin des années 1880 (ce qu’on appelle aujourd’hui la maladie d’Alzheimer), devra être interné durant trois ans.

Par ces épreuves, la famille Martin est proche des épreuves physiques et morales que connaissent toutes les familles, conséquence de la finitude de notre existence sur terre. Zélie puis Louis Martin, comme leurs filles, les ont vécues ni dans la révolte contre Dieu ni dans la résignation mais dans une vision surnaturelle de l’existence où le chrétien sait que cette terre, périssable, n’est pas le terme de son chemin.

Yves Chiron

Le docteur Robert Cadéot, lecteur de Présent de la première heure, a publié la biographie de Louis Martin en 1985 et celle de Zélie Martin en 1990 (les deux ouvrages ont été réédités en 1996 aux éditions François-Xavier de Guibert). On lira aussi avec intérêt et admiration les lettres de Zélie et de Louis Martin, Correspondance familiale. 1863-1885, Cerf, 2004.

vendredi 15 août 2008

[Présent] Humanae Vitae - origines d'une encyclique

Présent, 15 août 2008
En 1930, par l’encyclique Casti connubii, une des plus longues de son pontificat, Pie XI avait rappelé et précisé l’enseignement de l’Eglise sur le mariage chrétien. À l’heure, où la dissolution des mœurs avait déjà fait des ravages et où certains pays avaient commencé à adopter des politiques antinatalistes, le pape avait voulu exposer « la vraie doctrine du Christ concernant le mariage », ses « fins », ses « lois » et ses « biens ». Il avait réprouvé les « nouveaux genres d’union » (mariage temporaire, mariage à l’essai et mariage amical) et il avait condamné tout recours à la contraception et à l’avortement (« meurtre direct d’un innocent » avait dit Pie XI). À sa suite, Pie XII, dans diverses allocutions, avait rappelé ce même enseignement.
Pendant les années précédant le concile Vatican II, la Commission théologique préparatoire avait préparé un schéma intitulé : De castitate, virginitate, matrimonio, familia (« De la chasteté, de la virginité, du mariage et de la famille »). Les rédacteurs principaux de ce schéma furent le cardinal Ottaviani, secrétaire de la congrégation du Saint-Office, et le P. Ermenegildo Lio, un théologien franciscain, Défenseur du lien à la même Congrégation, examinateur du clergé et juge synodal au Vicariat de Rome, consulteur théologique à la Commission théologique préparatoire et professeur de théologie morale à l’Université pontificale du Latran. Ce schéma, jugé d’une doctrine et d’une exposition trop traditionnelles, ne fut pas présenté comme tel au concile Vatican II et les sujets qu’il abordait (le mariage, la famille, etc.) passèrent dans d’autres schémas qui traitaient de questions plus générales.
Pendant toute la durée du concile, et même avant, un para-concile (constitué des médias, chrétiens ou non, de certains théologiens, par leurs écrits et leurs conférences, et de certains évêques, par leurs déclarations), s’est développé. Ce para-concile a diffusé dans l’opinion publique, chrétienne ou non, un certain nombre de thèmes, de revendications et de contestations. Parmi celles-ci, il y a eu la réclamation insistante, répétée, d’accorder aux femmes le droit à la contraception.
Paul VI, on l’a trop souvent oublié, a demandé aux évêques assemblés de ne pas aborder la question de la régulation des naissances, se réservant de la traiter lui-même (cette intervention, d’une grande sagesse et prudence, est consignée dans la note 14 de Gaudium et Spes 51). À cette époque, selon divers témoignages incontestables, Paul VI était encore hésitant sur le sujet. Au rédacteur en chef de la Croix, dans un entretien privé, il confiait : « Rien n’est encore dit, car nous ne savons rien. » La confidence est inattendue si l’on considère que, de Pie XI et Pie XII, l’enseignement de l’Eglise n’a pas varié et qu’en 1966, à deux reprises, Paul VI a affirmé que, en la matière, « la pensée et les normes de l’Eglise ne sont pas changées. »
Le Pape avait demandé à la Commission pontificale pour l’étude des problèmes de la population, de la famille et de la natalité, que Jean XXIII avait instituée en mars 1963, de poursuivre l’étude de la question. Cette Commission s’était divisée et une majorité de ses membres s’était prononcée pour autoriser la contraception. En juin 1966, Paul VI décida de dissoudre cette Commission, puis il résolut de préparer une encyclique sur le sujet. La préparation fut confiée à divers groupes de travail et d’études, dont firent partie notamment un théologien très proche du pape, le milanais Mgr Carlo Colombo, et le jésuite français Gustave Martelet. On sait aussi que l’archevêque de Cracovie, le cardinal Wojtyla (le futur Jean-Paul II), fut consulté ; il avait publié un ouvrage sur ces sujets en 1962, Amour et responsabilité. Mais, il est établi que l’argumentation centrale de l’encyclique est due au père dominicain Ciappi, théologien de la Maison pontificale, consulteur de la congrégation pour la Doctrine de la Foi et au P. Lio qui retrouvait là un retour en grâce réconfortant.
Jean Guitton a témoigné que Paul VI était partagé entre sa « tendance » libérale, qui était d’autoriser la contraception, et son « devoir » qui était de l’interdire pour rester en continuité avec l’enseignement de ses prédécesseurs. Si le pape avait autorisé la « pilule », il aurait été acclamé comme le « libérateur de la femme ». Finalement, il a sacrifié sa popularité et il a bravé l’opinion publique qu’il savait lui être très majoritairement hostile.

Yves Chiron





[Présent] Une encyclique à contre-courant

Présent, 15 août 2008

Paul VI savait que cette septième encyclique [Humanae Vitae] de son pontificat allait rencontrer l’opposition d’une partie de l’opinion publique et de certains théologiens. Il fut peiné de voir que certains épiscopats se montrèrent eux aussi critiques ou réticents. Pour s’en tenir à la presse française, la plupart des quotidiens et des hebdomadaires ont dénoncé « un recul par rapport à l’esprit même du concile ». L’expression est dans France-Soir, le 30 juillet 1968. Mais on retrouve des jugements similaires dans le Monde qui déplore « une image de la femme très délibérément classique » (30/7). Dans Combat qui oppose « la morale du bonheur » à « la morale dite naturelle » (30/7). Dans France-Soir qui estime que Paul VI « a brisé un espoir et plonge beaucoup de catholiques dans le désarroi » (7/8). Dans le Nouvel Observateur qui estime que la pilule est désormais « un fait social, un acquis culturel » et qui affirme que « Paul VI vient répéter le coup de Galilée » (4/8). On signalera néanmoins que le philosophe Maurice Clavel a pu, dans ce même hebdomadaire de gauche, prendre la défense de l’encyclique qui, écrit-il, « apporte un souffle d’air frais »

La Croix et l’Aurore sont les seuls quotidiens français à avoir pris la défense de l’encyclique. Mais le P. Antoine Wenger, alors rédacteur en chef du seul quotidien catholique d’alors, reconnaîtra qu’il lui a été difficile de trouver « chez les évêques ou dans le laïcat des chroniqueurs favorables à l’encyclique. »

De nombreux théologiens se montrèrent publiquement réticents ou franchement hostiles à l’enseignement de Paul VI. Le théologien et psychanalyste Marc Oraison (très à la mode à l’époque, qui le lit encore aujourd’hui ?) osa déclarer : « Je pense que le doute, la réflexion, la contestation même restent possibles ». Karl Rahner ou Bernard Häring, autres théologiens de grande audience, publièrent des articles pour contester l’encyclique. Quelque quatre-vingts théologiens américains, rejoints ensuite par des centaines de théologiens et de prêtres des Etats-Unis, publièrent une sorte de protestation. Au terme d’un congrès, qui s’est tenu à Amsterdam les 18 et 19 septembre, des théologiens hollandais publièrent un communiqué pour dire leur déception que l’encyclique ne corresponde pas aux « espoirs » qu’avait suscités le concile Vatican II.

Des épiscopats entiers (le belge, le hollandais, l’autrichien) osèrent, selon la formule de l’abbé Berto, « avec une ignorance qu’on ne pardonnerait pas à un étudiant de deuxième année de théologie, opposer l’Encyclique à la conscience, comme si l’Encyclique n’était pas précisément une norme prochaine de la conscience ». L’épiscopat français, lui, attendit son assemblée plénière annuelle à Lourdes (en novembre) pour publier une prise de position collective qui fut résumée en un balancement : « La contraception ne peut jamais être un bien. Elle est toujours un désordre, mais ce désordre n’est pas toujours coupable ». Les évêques français admettaient qu’il pouvait y avoir , pour les époux, « conflits de devoirs ». Rares ont été, à cette époque, les évêques français qui ont adhéré ouvertement ou simplement à l’enseignement du Pape. Un des rares fut le cardinal Renard, archevêque de Lyon, qui dès le 2 août déclarait : « De nombreux fidèles de l’Eglise […] sont reconnaissants au pape d’avoir eu le courage de parler » (2/8).

La Pensée catholique, avec l’abbé Lefevre, l’abbé Berto et plusieurs médecins, Itinéraires, avec Jean Madiran, Mgr Lefebvre, le P. Calmel, Thomas Molnar, le P. Barbara et Marcel De Corte, publièrent des dossiers spéciaux pour défendre et illustrer l’encyclique. Mgr Lefebvre saluait Humanae Vitae, et le Credo que Paul VI avait proclamé quelques semaines auparavant, comme des « lueurs d’espérance » : « l’Esprit Saint se manifeste aujourd’hui d’une manière particulièrement consolante ». Jean Madiran, dans un commentaire lumineux, disait que l’encyclique « a heurté de plein fouet “la conscience collective de l’humanité“ en son état actuel d’aveuglement et d’auto-suffisance ». Et il donnait les causes de cet état : « le recul général de l’éducation des consciences » et « la montée simultanée des moyens techniques de manipulation des esprits. » Manipulation des esprits et recul de l’éducation des consciences, quarante ans plus tard le constat reste vrai.

Yves Chiron

samedi 9 août 2008

[Présent] Islam et évangélisation

Présent, 9 août 2008

Depuis 1872, il est interdit en France, dans les enquêtes de statistique publique, d’interroger les personnes sur leur appartenance publique. En 2005, l’INED a néanmoins obtenu une dérogation exceptionnelle de la CNIL pour pouvoir poser la question : « Quelle est votre religion d’appartenance (ou d’origine) ? ». L’enquête porta sur quelque 10.000 personnes.

Rappelons les chiffres relatifs à l’islam : l’enquête estime qu’un peu plus de 2 millions de personnes vivant en France se déclarent musulmans. Si on précise qu’il s’agit d’une enquête statistique (dont les résultats sont fondés sur des estimations) et non d’un recensement, que l’enquête n’a porté que sur les personnes de 18 ans et plus et qu’il était possible de se déclarer « sans religion » (5 millions), on admettra le caractère très approximatif de ce chiffre de « un peu plus de 2 millions de musulmans en France ». D’autres chiffres officiels, non issus d’une enquête statistique, parlent de 5 millions de personnes d’« origine culturelle musulmane » vivant en France.

Malgré son caractère approximatif, ce chiffre place la religion musulmane au deuxième rang des religions professées en France. L’Islam arrive même en tête, proportionnellement, des religions pratiquées en France puisque « 34 % des hommes se déclarant musulmans se rendent plus de deux fois par mois sur leur lieu de culte, contre seulement 4 % des catholiques ; chez les femmes en revanche, l’écart est moindre : 14 % des musulmanes s’y rendent au moins deux fois par mois contre 8 % des catholiques. » Et on atteint des chiffres de 70-80 % pour la pratique du ramadan chez les musulmans vivant en France.

Le nombre des lieux de culte musulman est, lui, en progression très rapide : 500 mosquées en 1985, 1.200 en 1992, 1.600 en 2004, 2.000 en 2007. Encore ne s’agit-il que des lieux de culte répertoriés, chiffres qui laissent de côté les lieux de culte « sauvages » ou improvisés. Les Turcs, particulièrement bien organisés, sont en passe de devenir « la première communauté propriétaire de lieux de culte musulman en France » (Didier Leschi, dans l’ouvrage collectif Les lieux de culte en France. 1905-2008, Lethiellleux, 2008, p. 24).

Dans un entretien publié récemment dans la revue américaine Angelus, Mgr Tissier de Mallerais répond à la question : « Que voyez-vous dans les 20 ans qui viennent ? » : « En Europe, des républiques islamiques en France, en Grande-Bretagne, en Belgique et aux Pays-Bas ». La prospective est effrayante. Mais elle nous semble avoir déjà été faite il y a vingt ans…

Il y a vingt ans aussi, ou presque, que le P. Maurice Avril, qui s’est dévoué aux harkis (la plupart musulmans), a appelé à une XIIe croisade (livre paru en 1990). Croisade non pas pour bouter les musulmans hors de France mais pour essayer de les convertir à la religion chrétienne. Le livre est paru sans susciter d’écho ni dans les structures hiérarchiques de l’Eglise de France, ni dans la Fraternité Saint-Pie X. Encore récemment, un livre publié par un prêtre de la FSSPX pour proposer « une réflexion authentiquement chrétienne » sur l’immigration développait des analyses subtiles et lucides d’ordre politique, mais n’évoquait nullement la nécessaire évangélisation.

Depuis 2007 existe à Toulon, officiellement instituée par l’évêque du diocèse, une Société missionnaire de la divine miséricorde fondée par l’abbé Loiseau. La Société a inscrit dans ses statuts : « La société œuvre pour la nouvelle évangélisation. C’est pourquoi, elle promeut les processions publiques, le porte à porte, les missions de rues. Soucieux de faire connaître le Christ à tous, les Missionnaires de la Miséricorde portent plus particulièrement les musulmans dans leurs prières et n’hésitent pas à aller à leur rencontre, pour annoncer le Christ miséricordieux. »

Les immigrés présents sur le territoire français ne partiront pas tous, même avec un gouvernement soucieux d’une politique authentiquement nationale. Ils ne partiront pas tous notamment parce qu’ils sont, pour un certain nombre, déjà français. L’intégration est culturelle et sociale, mais pour un chrétien, la meilleure intégration n’est-elle pas celle qui agrège à la communauté ecclésiale ?

Yves Chiron

samedi 2 août 2008

[Présent] Benoît XVI et l'œcuménisme

Présent, 2 août 2008
Le lendemain de son élection, dans son premier message au monde, Benoît XVI s’est fixé « comme tâche première de travailler sans ménager son énergie à la reconstruction pleine et visible de tous les disciples du Christ » ((20 avril 2005). Cette priorité donnée à ce que, depuis un demi-siècle, on appelle l’œcuménisme, n’est pas nouvelle. Depuis Jean XXIII, tous les Papes se sont exprimés, dans des termes très proches, dès les premiers temps de leur pontificat. Benoît XVI s’inscrit donc dans une tradition récente et emploie, lui aussi, le mot « œcuménisme » pour désigner le souci de l’Unité des chrétiens qui a toujours été celui de l’Eglise à travers les siècles.
Dans ce même discours inaugural de son pontificat, Benoît XVI s’est dit « disposé à faire tout ce qui est en son pouvoir pour promouvoir la cause fondamentale de l’œcuménisme ». Il indiquait aussi les voies qu’il était décidé d’emprunter : le dialogue théologique mais aussi « des gestes concrets qui pénètrent les âmes et remuent les consciences. »
Trois faits récents permettent de saisir concrètement ce volontarisme œcuménique et les moyens qu’il emploie :
• En mai dernier, Mgr Bawai Soro, évêque de l’Eglise assyrienne d’Orient (issue de l’hérésie nestorienne), et un millier de familles, ont été reçus dans la communion de l’Eglise catholique par Mgr Jammo, évêque de l’Eparchie chaldéenne établie à El Cajon, en Californie, éparchie qui dépend de la Congrégation pour les Eglises orientales. Mgr Bawai Soro était depuis de nombreuses années une figure importante du dialogue œcuménique entre l’Eglise assyrienne d’Orient et l’Eglise catholique. Il assista notamment, le 11 novembre 1994, à la signature, à Rome, d’une « Déclaration christologique commune » entre Jean-Paul II et Mar Dinkha IV, patriarche de l’Eglise assyrienne d’Orient. Cette déclaration, qui réaffirmait la doctrine traditionnelle catholique selon laquelle « la divinité et l’humanité sont unies dans la personne du même et unique Fils de Dieu et Seigneur Jésus-Christ », espérait, qu’à l’avenir, « l’unanimité » serait trouvée aussi en ce qui concerne les autres doctrines de la foi, les sacrements et la doctrine de l’Eglise et que cela permettrait la communion sacramentelle, « signe de la communion ecclésiale pleinement rétablie. »
Pour Mgr Soro, les prêtres et les milliers de fidèles qui l’ont suivi, c’est désormais chose faite ; ils sont rentrés en communion pleine et entière avec l’Eglise catholique.
• Le 28 juin dernier, Benoît XVI a ouvert l’ « Année paulinienne » qui commémore la naissance de l’Apôtre des Gentils, il y a deux mille ans, en recevant le patriarche Bartholomée, patriarche orthodoxe de Constantinople, et en célébrant des vêpres solennelles avec lui dans la Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs.
Cette cérémonie appartient, sans nul doute, à la catégorie des « gestes concrets » qu’avait annoncés Benoît XVI au début de son pontificat. Prière commune, mais point communio in sacris. Paul VI, dit-on, était prêt à une communion eucharistique avec le patriarche Athénagoras, prédécesseur de Bartholomée sur le siège de Constantinople. Benoît XVI, lui, répète que la communion eucharistique doit être l’aboutissement et le signe de la communion plénière dans la foi. Avec les orthodoxes, comme avec tous les autres non-catholiques, il ne pourra y avoir de communion eucharistique tant que « la question de la primauté de Pierre et de sa continuité chez les évêques de Rome » sera objet de dissension. Il l’a dit dans une conférence importante donnée à l’Université pontificale Urbinienne, en 1991, où il a défini la primauté de Pierre non pas comme une sorte de primat d’honneur ou de préséance mais comme « la reconnaissance de Rome comme critère de la foi authentiquement apostolique ».
Un Pie XI ou un Pie XII n’auraient jamais célébré des Vêpres avec un patriarche orthodoxe, mais, sur le fond, de ces papes à Benoît XVI les conditions de la pleine communion restent les mêmes.
• Cette communion avec l’Eglise catholique, des évêques et des prêtres anglicans – ceux de la Traditional Anglican Communion (TAC) – l’ont officiellement demandée à Rome et Rome a commencé à leur répondre. La TAC se définit comme une « communion d’Eglises anglicanes traditionnelles », quelques dizaines dans le monde, regroupant quelque 400.000 fidèles. Elles se sont séparées de l’Eglise d’Angleterre et de la Communion anglicane en 1991, en désaccord avec l’ordination de femmes pasteurs et avec certaines évolutions doctrinales et liturgiques observables dans certaines Eglises anglicanes.
Lors d’une visite à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le 9 octobre 2007, le Révérend John Hepworth, Primat de la TAC, a officiellement remis une lettre demandant une « full corporate sacramental union » de cette « Eglise anglicane » (elle se définit ainsi) avec le Saint-Siège. Le cardinal Levada, dans une lettre au Rév. Hepworth, le 5 juillet dernier, a donné une première réponse. Il assure au primat anglican que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi examine avec « grande attention » la demande de la TAC d’ « union en corps » mais qu’elle n’est pas encore en mesure de répondre « aux propositions » qui ont été faites.
L’ « union en corps », envisagée, pose des problèmes disciplinaires : que deviendront, par exemple, les anciens prêtres catholiques qui ont rejoint la TAC ? Les pasteurs mariés pourront-ils devenir des prêtres catholiques ? Et doctrinaux : les ordinations anglicanes ayant été considérées comme invalides, de manière solennelle depuis Léon XIII, il faudra réordonner les évêques et pasteurs qui souhaiteront continuer à exercer un ministère. Benoît XVI, qui n’est pas l’homme des décisions précipitées, fait examiner ces questions importantes.
Benoît XVI, « pape œcuménique ». Oui, si l’on n’en conclut pas que c’est au détriment de l’Eglise catholique.
Yves Chiron