samedi 25 octobre 2008

[Présent] Exégèse et foi

Présent, 25 octobre 2008

Jean Madiran écrivait, il y a quelques jours, que le catholicisme reste traversé « aujourd’hui plus que jamais » par le modernisme. « La crise est majeure. Elle n’a pas reculé. Elle bat son plein. » (Présent, 17.10.2008).
Bien sûr, l’observation est juste, le propos n’est pas exagéré. Ne prenons qu’un exemple. Un livre sur Jésus, paru chez un grand éditeur, estime que la question des frères et des sœurs du Christ fait partie des opinions libres. Le débat « n’est pas clos » estime son auteur. « Il serait présomptueux de vouloir trancher » affirme-t-il encore. Mais, sur le sujet, il ne cite en note de bas de page que trois ouvrages qui soutiennent la thèse que Jésus a eu des frères et des sœurs selon la chair.
La thèse, contredite par l’histoire sérieuse et l’exégèse croyante, a été reprise à satiété par des journalistes à la recherche d’un succès de librairie (Jacques Duquesne) ou par des non-chrétiens (Alain de Benoist). Mais, cette fois, celui qui estime que le débat « n’est pas clos » n’est rien moins qu’un oratorien, recteur de l’Université catholique de Lyon (cinq Facultés, dont celle de théologie, et six Ecoles supérieures). Il avait enseigné précédemment pendant vingt-cinq ans à l’Institut catholique de Paris. Il est aussi président de l’UNESCA (Union des Etablissements d’Enseignement Supérieur Catholiques).
Autant dire que le P. Michel Quesnel est une autorité dans le monde universitaire catholique. Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, il a obtenu le Prix de littérature religieuse en 2006. Je ne suis pas allé voir plus avant si dans ses livres il malmenait d’autres dogmes — car admettre l’hypothèse de frères et de sœurs de Jésus selon la chair c’est déjà nier la foi en la virginité de Marie.

« Absence d’une herméneutique de la foi »

Benoît XVI a conscience de la misère d’une certaine forme d’exégèse, celle qui s’enseigne y compris dans certaines facultés de théologie et dans certains livres primés. Une exégèse, dit le Pape, où l’on avance « des interprétations qui nient l’historicité des éléments divins. »
Devant le synode des évêques réuni à Rome, justement consacré à « La Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l’Eglise », Benoît XVI a déploré les dérives, « les problèmes et les risques » de l’exégèse moderne.
Il a rappelé les « trois éléments méthodologiques fondamentaux » qui doivent guider l’étude chrétienne de la Bible : « 1) interpréter le texte en ayant présente à l’esprit l’unité de toute la Sainte Ecriture […] 2) il faut aussi avoir présente à l’esprit la tradition vivante de toute l’Eglise, et enfin 3) on doit respecter l’analogie de la foi. »
Quand on sort de l’ « herméneutique de la foi », dit le Pape, « un autre type d’herméneutique apparaît nécessairement, une herméneutique sécularisée, positiviste, dont la clé fondamentale est la conviction que le Divin n’apparaît pas dans l’histoire humaine. »
Benoît XVI, dans l’avant-propos du livre sur Jésus qu’il a publié l’année dernière, avait déjà montré l’exemple en allant « au-delà de l’interprétation historico-critique » pour offrir « une interprétation proprement théologique ».
De Renan à Bultmann et à ses épigones catholiques, une certaine histoire biblique et une certaine exégèse se sont développées qui ont séparé toujours plus le « Jésus de l’histoire » et le « Christ de la foi ». Le Jésus de l’histoire est de plus en plus inaccessible, dit-on, parce que le Jésus que nous présentent les Evangiles est déjà une construction « dans la foi » et non plus un récit historique inspiré.
Benoît XVI, dans le livre cité, a rejeté cette supposée contradiction. Il écrit en effet : « je fais confiance aux Evangiles. Bien entendu, on présuppose tout ce que le Concile et l’exégèse moderne nous disent sur les genres littéraires, sur l’intention des affirmations, sur le contexte communautaire des Evangiles et de leur parole dans cet ensemble vivant. En intégrant tout cela, du mieux que j’ai pu, j’ai néanmoins voulu tenter de représenter le Jésus des Evangiles comme un Jésus réel, comme un “Jésus historique“ au sens propre du terme. [Je crois précisément que ce Jésus, celui des Évangiles, est une figure historiquement sensée et cohérente. »

Yves Chiron

samedi 18 octobre 2008

[Présent] Renouveau du thomisme en France?

Présent, 18 octobre 2008


Dans ses souvenirs, déjà cités ici, le père Jean-Miguel Garrigues raconte comment, dans les années 1960-70, dans le grand couvent de formation dominicaine du Saulchoir, l’étude de saint Thomas était plus que déficiente. Dans les années 40-50, il y avait déjà eu la réduction historicisante menée par la fameuse Ecole du Saulchoir (le P. Chenu et d’autres). Dans les années 60-70, la morale de saint Thomas n’était plus enseignée.

Un autre dominicain, d’une génération à peine postérieure, le P. Bonino, a vécu la même expérience: «Le thomisme a connu dans l’Eglise une forte désaffection après Vatican II. La plupart des clercs ont surtout rejeté ce qu’ils avaient vécu, à tort ou à raison, comme une sorte de pensée officielle stérilisée, un véritable carcan idéologique. D’autres ont estimé que la rupture introduite par la modernité était si profonde qu’une pensée d’origine médiévale comme le thomisme ne pouvait plus répondre aux questions d’aujourd’hui et servir à une intelligence contemporaine de la foi. Il faut refaire, disait-on, avec Hegel, Marx ou Freud ce que saint Thomas avait fait avec Aristote.»

Le thomisme avait connu un certain renouveau en France dans la première moitié du XXe siècle, mais il faut reconnaître que ce fut davantage dans le domaine de la philosophie que dans celui de la théologie, bien plus à l’université que par les séminaires et les couvents d’études. Les Jésuites, par exemple, à travers ce qu’on a appelé l’Ecole de Fourvière (Henri de Lubac, etc.) suivent, notamment après la Deuxième Guerre mondiale, une autre voie, promouvant une théologie positive davantage fondée sur les sources scripturaires et patristiques.

Les Dominicains, dès la fin des années 50, donc avant le concile Vatican II, participent d’un mouvement plus général, en France du moins, qui abandonne la doctrine de saint Thomas ou la réduit à l’état d’un objet historique à étudier.

Dans ce domaine, comme en d’autres, le concile Vatican II n’a pas su enrayer le mouvement. Pourtant, dans le décret sur la formation des prêtres, l’étude de saint Thomas est recommandée, mais comme une ultime étape. En effet, le concile préconise une voie progressive pour la formation des séminaristes: études bibliques, études patristiques «puis pour mettre en lumière, autant qu’il est possible, les mystères du salut, ils apprendront à les pénétrer plus à fond, et à en percevoir la cohérence, par un travail spéculatif, avec saint Thomas pour maître.»

Paul VI avait, avant le décret, à plusieurs reprises, recommandé l’étude de saint Thomas: «Il y a chez le Docteur angélique tant de puissante intelligence, tant de sincère amour de la vérité, tant de sagesse dans l’approfondissement, la présentation et la synthèse des plus hautes vérités, que sa doctrine est l’instrument le plus efficace non seulement pour asseoir la foi sur des bases sûres, mais aussi pour percevoir d’une façon efficace et assurée les fruits d’un sain progrès.»

Comment et pourquoi de telles recommandations sont restées inopérantes, en France du moins, n’ont pas réussi à renverser une tendance, il faudrait, pour commencer à le comprendre, se livrer à une étude systématique et documentée du fonctionnement et des programmes des séminaires et des couvents d’études dans les années 60-70 et même 80.

La loi naturelle

En France, les éditions des œuvres de saint Thomas d’Aquin ont connu un nouvel essor depuis les années 1980. Soit des rééditions, soit des traductions nouvelles. Les Sommes (théologique et Contre les Gentils), le Compendium de théologie sont disponibles en édition annotée. Fait nouveau, les Commentaires de saint Thomas d’Aquin sur l’Ecriture Sainte, qui, pour certains n’avaient jamais été traduits, ont fait et font l’objet d’éditions bilingues, abondamment annotées. Les Dominicains (pas les Jésuites) sont les artisans de cette nouvelle présence de saint Thomas dans les librairies. De même ce sont certains couvents dominicains (pas tous cependant), et non les couvents jésuites, qui publient des revues où l’étude de saint Thomas est à nouveau à l’honneur. Le P. Bonino, qui dirige la vénérable Revue thomiste depuis 1991, déclare à L’Homme nouveau sa volonté de «manifester [à travers sa revue] la fécondité des principes du thomisme dans les débats philosophiques et théologiques contemporains. […] assurer la présence, dans le monde francophone, d’un thomisme vivant, fidèle à son identité génétique et ouvert à une croissance homogène.»

Encore faut-il, ensuite, que le thomisme, illustré par des articles de revue et par des livres, enseigné dans certains couvents d’études, redevienne la base de l’enseignement dans tous les séminaires et tous les couvents d’étude.

On signalera encore que le P. Bonino, qui est membre de la Commission théologique internationale et de l’Académie pontificale de saint Thomas d’Aquin, est chargé de coordonner la rédaction d’un document romain sur la Loi naturelle qui devrait être publié dans les prochains mois et rappeler, contre le subjectivisme et le relativisme, qu’il existe, selon la récente expression de Benoît XVI, une «norme écrite par le Créateur dans le cœur de l’homme» qui lui permet de distinguer le bien du mal.

Yves CHIRON

samedi 11 octobre 2008

[Présent] L’Eucharistie vue par la Conférence des évêques de France

Présent du 11 octobre 2008
La Conférence des évêques de France s’est dotée d’un nouveau portail électronique (Eglise.catholique.fr). Après avoir acheté un nouveau, et luxueux, édifice — 15 millions d’euros —, pour y établir son siège, la Conférence des évêques de France a pu engager un budget de 120 000 euros pour remplacer son précédent site (cef.fr).
On nous dit que ce nouveau site est plus « moderne » et bénéficie d’une meilleure « qualité rédactionnelle». Il offre, notamment, un « Lexique » où l’on peut trouver des définitions, simples, des différents éléments de la foi chrétienne et de la vie dans l’Eglise.
Pour tester ce nouvel instrument de communication de l’Eglise catholique en France, j’ai entré le mot « Messe ». J’ai trouvé la très courte définition suivante : « Dans la religion catholique, appelée aussi Eucharistie, célébration du sacrifice du corps et du sang de Jésus-Christ présent sous les espèces du pain et du vin. L’Evêque et les prêtres sont les célébrants habituels de l’Eucharistie.»
Passons sur l’étrange « habituels » : y aurait-il d’autres « célébrants » possibles de l’Eucharistie ?
Le Catéchisme de saint Pie X enseignait aux enfants une définition plus claire de la Messe : « La sainte Messe est le sacrifice du Corps et du Sang de Jésus-Christ que le prêtre offre à Dieu sur l’autel sous les espèces du pain et du vin, en mémoire et renouvellement du sacrifice de la Croix.»
Pour le portail de la Conférence des évêques de France (au mot «sacrifice »), « l’unique sacrifice du Christ [est] rappelé dans chaque Eucharistie ». Simplement « rappelé» ou « renouvelé » par le ministère du prêtre ? C’est la doctrine de la messe qui est changée selon les mots qu’on emploie pour la définir. On ne cherchera pas, dans le « Lexique » de la foi chrétienne proposé par les évêques de France, les mots «propitiation » ou « satisfaction pour nos péchés ».
Dans une autre rubrique du portail, « Foi et vie chrétienne », on trouve une présentation plus développée des sacrements. Les pages sur l’Eucharistie sont, elles aussi, faiblardes ou déficientes. Faiblardes,parce qu’on aurait aimé y trouver, dans la partie «Eclairage », quelques grands textes patristiques ou théologiques. Au lieu de quoi on lit la réflexion d’un professeur à l’Institut catholique de Paris sur « Eucharistie et partage », c’est-à-dire « le rapport entre le rite et l’éthique ».
Mais ces pages sur l’Eucharistie sont surtout déficientes par les nouvelles définitions de la messe qui y sont données : «L’Eucharistie, ou la messe, est un rappel de la dernière Cène, de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ. » On nous a dit juste avant : « C’est une actualisation de la Pâque et non pas sa répétition ou son simple souvenir. »
Que comprendra le simple fidèle à ce salmigondis ? Que retiendra-t-il ? La messe n’est pas un « souvenir » mais un «rappel ». Quelle est la différence? La messe n’est pas la «répétition » du sacrifice du Christ,mais son « actualisation » dit le portail des évêques. Pourquoi ne pas s’en tenir aux définitions classiques et aux mots traditionnels mémoire et renouvellement non sanglant ?
On pourra objecter que les pages épiscopales sur l’Eucharistie renvoient, dans une « fenêtre », au Catéchisme de l’Eglise catholique. Ouvrons cette fenêtre. On n’y trouve que la première des sept parties du CEC sur le sujet, celle qui parle en termes plus généraux de l’Eucharistie. Soit seulement quatre paragraphes (§1324 à §1327) sur la centaine que le CEC contient sur l’Eucharistie (§1322 à §1419).
En ouvrant le portail épiscopal, on ne trouve donc pas les définitions du CEC sur la messe comme sacrifice offert par le Christ « par le ministère des prêtres », « en réparation des péchés des vivants et des défunts et pour obtenir de Dieu des bienfaits spirituels ou temporels ».
Le CEC, bien sûr, définit clairement le mystère qui s’opère par les paroles du prêtre : « Par la consécration s’opère la transsubstantiation du pain et du vin dans le Corps et le Sang du Christ. Sous les espèces consacrées du pain et du vin, le Christ Lui-même, vivant et glorieux, est présent de manière vraie, réelle et substantielle, son Corps et son Sang, avec son âme et sa divinité » (§ 1413).
Le lexique du portail de la Conférence des évêques de France comporte, lui aussi, une définition du mot «Transsubstantiation », mais en ajoutant : « Aujourd’hui, les catholiques préfèrent utiliser l’expression “présence réelle” ».
Oui, l’expression est plus simple, mais la doctrine y est moins précisément définie. Les protestants luthériens, eux aussi, parlent de « présence réelle » (« le vrai corps et le vrai sang du Christ sont, en toute vérité, présents dans la Cène sous les espèces du pain et du vin » art. X de la Confession d’Augsbourg, 1530). Mais cette « présence réelle » des protestants n’est pas la « présence réelle » des catholiques.
La Conférence des évêques de France, dans son nouveau portail électronique, n’est pas sortie du minimalisme qui conduit souvent à l’équivoque.
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Yves Chiron