Article extrait du n° 6554 de Présent, du Samedi 22 mars 2008, p.7
Livres à la mode
Les livres « à la mode » sont les livres dont tout le monde parle, soit parce qu’on les a lus soit parce qu’on a lu des articles sur le sujet, ou encore dont en a entendu parler. Cela peut être de bons livres ou, au contraire, des livres qui ne valent pas grand-chose mais qui vont attirer de nombreux lecteurs pour diverses raisons.
Les Animatueurs de Michel Malausséna est, assurément, un livre à la mode. Un ancien producteur de télévision raconte les coulisses de la télévision. Ou, plus exactement, il dresse des portraits de quelques animateurs avec lesquels il a travaillé dans les années 1980-2000 : Stéphane Collaro, Christophe Devachanne, Thierry Ardisson, Mireille Dumas, Nagui. Il nous décrit l’alcoolisme de l’un, les mœurs dissolues de l’autre (ou du même), la pingrerie de la troisième, le goût de l’argent de tous, le niveau intellectuel lamentable, etc. Un monde affligeant, où certains néanmoins sont épargnés.
C’est un livre qui a le courage de citer des noms et des faits, mais ce n’est pas un livre de combat culturel contre la « télé-pourrie ». Un pavé dans la mare qui mérite tout juste les deux heures de lecture qu’on doit lui consacrer.
Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
Yann Moix, qui s’est intéressé, en romancier, à Claude François (Podium) et à des sujets scabreux (Partouze), a voulu s’approprier Edith Stein. Cela nous vaut un livre court – deux ou trois heures de lecture – qui a choqué certains et épaté d’autres (y compris certains clercs). Qui reprochera à un écrivain, même non catholique, de s’intéresser à une martyre ? On ne pourra pas lui reprocher non plus d’avoir, avec sa sensibilité d’écorché vif, abordé cette figure religieuse éminente du XXe siècle dans une perspective qui lui est propre.
Mais on ne pourra pas admirer et encore moins recommander un livre aussi ridicule. Yann Moix se répand partout en disant qu’il ne relit pas ses livres et qu’il ne les corrige pas. Quelle prétention ! Joyce ou Céline, les grands novateurs stylistiques du XXe siècle, relisaient, raturaient, corrigeaient leurs feuilles.
Yann Moix a inventé une sorte de tic stylistique qui est sa marque de fabrique : les deux points. Exemples : « Elle ne l’a : pas fait. […] Elle ne l’a : pas souhaité ». Le procédé, répété à l’envie, rappelle les points d’exclamation et de suspension dont Céline surchargeait ses phrases. Mais n’est pas Céline qui veut.
Sur le fond, on reprochera à Moix d’inventer avec maladresse. Son chapitre 12 met en scène Gustave Thibon et la grande Simone Weil. Leur dialogue, imaginé par Moix, est d’un ridicule qui suffirait à décrédibiliser tout le livre. On y voit une Simone Weil se livrant à une sorte de Pilpoul avec « Gus » (sic) sur son installation. Ailleurs, page 98, Moix invite son lecteur à imaginer Edith Stein « avec des baskets ». Ridicule, encore, la réplique supposée de la mère d’Edith Stein lorsque sa fille vient lui annoncer sa conversion : « Ton Dieu, ma chérie, excuse-moi, mais j’ai l’impression qu’il ne fait pas le poids ici-bas. »
Jésus, pour Edith Stein, est « comme son “mec” » (p. 113). Moix parle de « la lacération SM [i.e. sado masochiste] des Carmels du XXe siècle » (p. 118). Et on ne citera pas, ici, les considérations, pornographiques, sur la circoncision de Jésus. Curieusement, la mort en martyre d’Edith Stein, qui est le sommet de sa vie terrestre, Yann Moix n’a pas l’écrire.
Moix n’a pas raté son livre. Il s’est aventuré – pour quelle raison ? – sur un terrain qu’il ne connaissait pas ou qu’il a découvert récemment. On ne lui reprochera pas de ne pas citer les biographies historiques qu’il a utilisées ; pour l’excuser on pourra toujours citer la Pensée où Pascal dit pourquoi un auteur doit toujours dire « nous » et pas « je ». Mais on lui reprochera de ne pas donner, en référence, les livres d’Edith Stein disponibles en librairie. Si son but, comme il l’a dit, était de faire découvrir la grande martyre et mystique à nos contemporains ignorants ou sceptiques, il aurait dû leur montrer le chemin, leur donner quelques titres de livres d’Edith Stein et les éditeurs où les lire aujourd’hui.
Yann Moix n’a pas rendu service à Edith Stein, il s’est servi de ce qu’il a compris de son histoire pour écrire un livre de plus.
• Michel Mallauséna, Les Animatueurs, Jean-Claude Gawsewitch éditeur, 307 pages.
• Yann Moix, Mort et vie d’Edith Stein, Grasset, 194 pages.
YVES CHIRON
Livres à la mode
Les livres « à la mode » sont les livres dont tout le monde parle, soit parce qu’on les a lus soit parce qu’on a lu des articles sur le sujet, ou encore dont en a entendu parler. Cela peut être de bons livres ou, au contraire, des livres qui ne valent pas grand-chose mais qui vont attirer de nombreux lecteurs pour diverses raisons.
Les Animatueurs de Michel Malausséna est, assurément, un livre à la mode. Un ancien producteur de télévision raconte les coulisses de la télévision. Ou, plus exactement, il dresse des portraits de quelques animateurs avec lesquels il a travaillé dans les années 1980-2000 : Stéphane Collaro, Christophe Devachanne, Thierry Ardisson, Mireille Dumas, Nagui. Il nous décrit l’alcoolisme de l’un, les mœurs dissolues de l’autre (ou du même), la pingrerie de la troisième, le goût de l’argent de tous, le niveau intellectuel lamentable, etc. Un monde affligeant, où certains néanmoins sont épargnés.
C’est un livre qui a le courage de citer des noms et des faits, mais ce n’est pas un livre de combat culturel contre la « télé-pourrie ». Un pavé dans la mare qui mérite tout juste les deux heures de lecture qu’on doit lui consacrer.
Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
Yann Moix, qui s’est intéressé, en romancier, à Claude François (Podium) et à des sujets scabreux (Partouze), a voulu s’approprier Edith Stein. Cela nous vaut un livre court – deux ou trois heures de lecture – qui a choqué certains et épaté d’autres (y compris certains clercs). Qui reprochera à un écrivain, même non catholique, de s’intéresser à une martyre ? On ne pourra pas lui reprocher non plus d’avoir, avec sa sensibilité d’écorché vif, abordé cette figure religieuse éminente du XXe siècle dans une perspective qui lui est propre.
Mais on ne pourra pas admirer et encore moins recommander un livre aussi ridicule. Yann Moix se répand partout en disant qu’il ne relit pas ses livres et qu’il ne les corrige pas. Quelle prétention ! Joyce ou Céline, les grands novateurs stylistiques du XXe siècle, relisaient, raturaient, corrigeaient leurs feuilles.
Yann Moix a inventé une sorte de tic stylistique qui est sa marque de fabrique : les deux points. Exemples : « Elle ne l’a : pas fait. […] Elle ne l’a : pas souhaité ». Le procédé, répété à l’envie, rappelle les points d’exclamation et de suspension dont Céline surchargeait ses phrases. Mais n’est pas Céline qui veut.
Sur le fond, on reprochera à Moix d’inventer avec maladresse. Son chapitre 12 met en scène Gustave Thibon et la grande Simone Weil. Leur dialogue, imaginé par Moix, est d’un ridicule qui suffirait à décrédibiliser tout le livre. On y voit une Simone Weil se livrant à une sorte de Pilpoul avec « Gus » (sic) sur son installation. Ailleurs, page 98, Moix invite son lecteur à imaginer Edith Stein « avec des baskets ». Ridicule, encore, la réplique supposée de la mère d’Edith Stein lorsque sa fille vient lui annoncer sa conversion : « Ton Dieu, ma chérie, excuse-moi, mais j’ai l’impression qu’il ne fait pas le poids ici-bas. »
Jésus, pour Edith Stein, est « comme son “mec” » (p. 113). Moix parle de « la lacération SM [i.e. sado masochiste] des Carmels du XXe siècle » (p. 118). Et on ne citera pas, ici, les considérations, pornographiques, sur la circoncision de Jésus. Curieusement, la mort en martyre d’Edith Stein, qui est le sommet de sa vie terrestre, Yann Moix n’a pas l’écrire.
Moix n’a pas raté son livre. Il s’est aventuré – pour quelle raison ? – sur un terrain qu’il ne connaissait pas ou qu’il a découvert récemment. On ne lui reprochera pas de ne pas citer les biographies historiques qu’il a utilisées ; pour l’excuser on pourra toujours citer la Pensée où Pascal dit pourquoi un auteur doit toujours dire « nous » et pas « je ». Mais on lui reprochera de ne pas donner, en référence, les livres d’Edith Stein disponibles en librairie. Si son but, comme il l’a dit, était de faire découvrir la grande martyre et mystique à nos contemporains ignorants ou sceptiques, il aurait dû leur montrer le chemin, leur donner quelques titres de livres d’Edith Stein et les éditeurs où les lire aujourd’hui.
Yann Moix n’a pas rendu service à Edith Stein, il s’est servi de ce qu’il a compris de son histoire pour écrire un livre de plus.
• Michel Mallauséna, Les Animatueurs, Jean-Claude Gawsewitch éditeur, 307 pages.
• Yann Moix, Mort et vie d’Edith Stein, Grasset, 194 pages.
YVES CHIRON