Cet article est paru, le 13 juillet 2008, dans le supplément littéraire du quotidien Présent.
Vingt-quatre ans déjà qu’il nous a quittés… Comment expliquer aux lecteurs les plus jeunes qui était Philippe Ariès (1914-1984) ? Un jeune homme d’Action française qui, en 1943, renonce à enseigner et à préparer l’agrégation d’histoire, se case à l’Institut du Fruit tropical où il fera carrière comme documentaliste en chef, tout en poursuivant des recherches historiques à ses moments perdus, et une activité journalistique aux côtés de Pierre Boutang. Chaleureux, curieux de tout, il n’est pas un grand journaliste, se perdant un peu trop dans les subtilités. À cet égard, ses articles sur la crise de l’Eglise, en 1962-1965, sont caractéristiques : il explique qu’il est pour les uns sans être contre les autres, tout en étant ni pour l’un ni pour l’autre, etc. Mais, tout à coup, dans les années 1970, ses travaux sur l’Enfant (qui, selon lui, n’intéresse pas en tant que tel avant le XVIIIe siècle), et sur la Mort (« apprivoisée » au Moyen Age, aujourd’hui tabou), passionnent à la fois l’Université et le grand public: cet homme venu de « l’extrême droite » devient « grand historien des mentalités ». Il tente d’expliquer qu’il a rompu avec l’histoire politique et démonstrative de Bainville et Gaxotte sans rompre totalement avec Maurras, qui lui a enseigné le sens de la diversité et de l’héritage. On pouvait encore, en 1975, parler librement de Maurras. L’Ecole des Hautes Etudes lui offre tardivement un poste (1978), mais son épouse et collaboratrice, puis lui-même sont rattrapés par la maladie, ils meurent en 1983 et 1984. Ils n’avaient pas d’enfant. C’est donc Marie-Rose Ariès qui veille aujourd’hui sur les archives de son frère.
Ignorance du domaine religieux
Le livre publié cette année par Guillaume Gros est le résumé d’une thèse soutenue en 2002 à l’Institut d’études politiques de Paris, et l’on sait combien la chape de plomb du conformisme pèse sur cette école. Qu’on ne demande donc pas à Guillaume Gros des vues très personnelles. Il n’a pas non plus écrit une biographie. Rien sur les voyages nombreux du couple Ariès (même leur voyage en Algérie est passé sous silence). On ne trouvera même pas la date et le lieu de naissance d’Ariès (par contre deux dates pour sa mort, 8 ou 9 février ?). Pas même l’esquisse d’un arbre généalogique qui aurait permis de se retrouver parmi les cousins, oncles et tantes, qu’il aimait à citer (l’arbre pourtant est simplifié du fait que les parents de Philippe Ariès étaient cousins germains, comme ceux d’un autre Créole célèbre, le romancier J.M.G. Le Clézio). Pas non plus de révélations (sinon celle d’un manuscrit sur Musset, d’un article sur Pie XII oublié dans les rééditions), même dans l’analyse, assez fouillée pourtant, du parcours d’Ariès sous l’Occupation et à La Nation française de Boutang. Le volume de Guillaume Gros (Philippe Ariès, éd. Septentrion, 346p., 23 euros) présente surtout l’avantage de fournir une liste quasi exhaustive des livres et articles écrits par ou sur Ariès, et un bon index des noms. Un livre utile donc, auquel on reprochera toutefois une trop grande ignorance du domaine religieux et de la « planète catho ». Au point de prendre le R.P. Riquet pour « un des plus grands noms de la démographie », l’ordre jésuite pour une « institution monarchique », et de fixer au 25 mars la « date traditionnelle de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs »… Erreurs que le jury de Sciences-po, apparemment, n’a pas relevées. De même qu’il n’a peut-être pas dit à Guillaume Gros qu’on ne peut pas, dans un livre d’histoire, utiliser à tout-va le terme « intégriste » (Ariès le faisait, mais comme journaliste). Ce terme a une histoire très précise, il a toujours été une insulte polémique (à l’origine, contre Pie X). Guillaume Gros semble ignorer les livres d’Emile Poulat sur la question. Ils sont absents de la bibliographie, et, sur les jésuites, l’unique source est une pauvre compilation de Jean Lacouture… C’est dommage.
Armand Mathieu