Présent, 6 septembre 2008
En matière religieuse, la malveillance et l’ignorance dominent la presse écrite. Elles dominent au sens littéral. Pour s’en tenir à la presse quotidienne et aux questions religieuses, non seulement les articles malveillants ou mal informés sont plus nombreux que les articles bienveillants, honnêtes ou sérieux, mais aussi ils dominent au sens où ils donnent le ton, influencent l’opinion commune.
Quand un journal comme le Monde consacre une pleine page à Newman, ce n’est pas pour accélérer sa cause de béatification, qui avance bien. C’est pour nuire à sa mémoire, défigurer sa pensée et mettre dans l’embarras l’Eglise.
Deux articles sont juxtaposés par le quotidien. L’un, de Marc Roche — qui, d’habitude, signe des articles sur les pubs anglais, la bière anglaise et le whisky — relaie une lamentable campagne lancée par Peter Tatchell, militant des causes homosexuelle et écologiste. Marc Roche, qui orthographie mal le nom de Tatchell tout au long de ses lignes, a intitulé son article : « Mgr Newman était-il gay ? Shocking ! ».
Au lendemain de la mort de son ami, le P. Ambrose Saint-John, Newman a eu, pour lui, des mots pleins d’affection. Quinze ans plus tard, il a voulu être enterré à ses côtés. Voilà qui suffit à Tatchell pour estimer que Newman fut « homosexuel » et que Saint-John fut son « amant ». Le Monde relaie complaisamment la campagne de Tatchell et, sous le prétexte de l’objectivité, insinue le doute et diffuse la rumeur. Le journaliste du Monde écrit « ami » avec des guillemets pour mieux distiller la calomnie.
Le lecteur n’en saura pas plus sur l’ami de Newman. Il ne saura pas que le révérend Ambrose Saint-John (1815-1875), pasteur anglican, s’est converti au catholicisme un mois avant Newman, qu’ils sont allés ensemble à Rome où ils ont été ordonnés prêtres le même jour. Toux deux, sur les conseils du bienheureux Pie IX, ont fondé une communauté de l’Oratoire en Angleterre. Saint-John fut pendant trente-deux ans un ami très cher de Newman. La dernière page de l’Apologia pro vita sua de Newman (écrit en 1864) contient un bel hommage à son ami encore en vie. Il suffit de lire la correspondance qu’ils ont échangée pour voir à quelle hauteur de communion spirituelle se situait leur amitié.
On aurait pu s’attendre à ce que le second article consacré à Newman dans ce même numéro du Monde rétablisse la vérité. Au lieu de cela, bien que signé par le « spécialiste » religieux du journal, ce second article offre un autre exercice stupéfiant de désinformation. On y lit que les « idées de réforme » de Newman auraient « anticipé le concile Vatican II ». On veut y faire accroire que Newman aurait été partisan du « rapprochement des confessions chrétiennes » et qu’il aurait, comme un « prophète », discerné « l’urgence pour les chrétiens d’être davantage présents à leur temps ».
Comment peut-on, en si peu de lignes, réunir autant de balivernes ?
Le P. Bouyer, lui aussi converti du protestantisme et lui aussi oratorien, a donné comme sous-titre à son Newman (éditions ad Solem, 2006) : « Une théologie pour un temps d’apostasie ». Il a montré Newman comme un antimoderne : « il faisait partie du petit nombre de ceux qui réalisèrent, contrairement à l’optimisme de rigueur au XIXe siècle, que la société était à la veille de basculer dans une époque totalement différente, dans laquelle le vernis de la culture chrétienne lui-même disparaîtrait. »
Newman croyait si peu au « rapprochement des confessions chrétiennes » qu’il affirmait, depuis sa conversion, que l’Eglise catholique est « l’oracle de Dieu » et qu’ « en dehors de l’Eglise catholique, tout semble tendre vers l’athéisme sous une forme ou sous une autre ».
Autre baliverne attribuée à Newman : il aurait accordé « la primauté » à « la liberté de la conscience personnelle ». Qu’on relise les dix-huit thèses dans lesquelles il a résumé le libéralisme religieux et politique, et qu’il a réfutées, une à une, et avec quel humour !
Yves Chiron