Le 2 octobre 1999, les « secrets » révélés par la Vierge Marie aux deux bergers de La Salette, le 19 septembre 1846, ont été découverts, dans les archives de l’ex-Saint-Office, par l’abbé Michel Corteville. Les textes, rédigés par les deux voyants, Mélanie Calvat et Maximin Giraud, avaient été remis au pape Pie IX le 18 juillet 1851. Ils étaient considérés comme perdus.
Ces textes ont fait l’objet d’une thèse de doctorat en théologie qui a été soutenue par l’abbé Corteville en 2000 à l’Angelicum, l’université pontificale des Dominicains. Cette thèse a commencé à être publiée, dans son texte intégral, en 2001. Elle a été reprise, sous une forme plus accessible à un large public, dans un ouvrage publié par l’abbé Corteville et l’inévitable René Laurentin, Découverte du secret de La Salette (Fayard, 2002).
Cette découverte, inespérée, de 1999 est un événement considérable pour l’historiographie de La Salette. Les versions du secret révélé à Mélanie, qui avaient été publiées précédemment, notamment celle publiée en 1879, avec l’imprimatur de Mgr Zola, évêque de Lecce, s’en trouvent en partie confirmées et en partie rectifiées sur certains points importants.
Cette découverte est-elle aussi un événement considérable pour l’Eglise d’aujourd’hui, un événement qui vient à son heure pour aider et éclairer les fidèles d’aujourd’hui ?
On remarquera d’abord que cette découverte du texte original de La Salette n’a pas cassé les vieux réflexes des uns et des autres. En 1991, le P. Stern, considéré comme un des principaux spécialistes de La Salette, estimait, dans sa volumineuse trilogie sur le sujet, que le texte publié en 1879 était une extrapolation, autant dire un tissu d’affabulations pieuses. Selon lui, « les secrets entendus par Maximin et Mélanie le 19 septembre 1846 concernent les voyants eux-mêmes ».
Cette affirmation, pour le moins imprudente, date d’avant la découverte de 1999. Pourtant, en 2006 encore, le chapelain du sanctuaire Notre-Dame de La Salette, a publié un livre sur l’apparition de 1846 (Maurice Tochon, La Salette, Editions de Paris) où il ignore le texte authentique publié ou feint de l’ignorer. Il se contente de traiter par le mépris des « documents, présentés comme ”les secrets de La Salette” [qui] ne font guère que recopier des documents du même genre qui circulent depuis la restauration religieuse et politique. »
Inversement, nombre de ceux qui prennent au sérieux le « secret de La Salette » persistent à se référer, et à publier, le texte édité en 1879, alors qu’il n’est pas le texte authentique du secret révélé en 1846 et remis au Pape en 1851.
« Rome perdra la foi » ?
« Rome perdra la foi… elle deviendra le siège de l’antéchrist… Il y aura une éclipse de l’Eglise » : ces paroles que la Sainte Vierge aurait dites à Mélanie en 1846 sont reprises aujourd’hui, par certains, comme une prophétie décrivant la situation actuelle de l’Eglise, la crise qu’elle traverse et qui est loin d’être terminée.
Pourtant, aucune des paroles citées ci-dessus ne se trouve dans le texte authentique du secret révélé à Mélanie ; elles figurent dans le texte édité en 1879.
Dans le texte authentique du secret révélé à Mélanie, il y a des avertissements terribles et des prophéties. Certaines se sont réalisées : « Le pape sera persécuté de toutes parts : on lui tirera dessus, on voudra le mettre à mort, mais on ne lui pourra rien, le vicaire de Dieu triomphera encore cette fois » ; ou encore quand il est question des persécutions qui s’abattront sur le clergé et sa cohorte de martyres. D’autres prophéties ne se sont pas réalisées ou pas encore : « Paris […] périra infailliblement. Marseille sera détruite en peu de temps » ou « Un grand roi montera sur le trône, et régnera pendant quelques années ».
Le fidèle n’est pas tenu d’accorder foi à la littéralité de tels textes qui ne sont pas un complément à la Révélation de l’Evangile. Il serait téméraire, en revanche, d’en nier l’authenticité.
Les prophéties de La Salette, comme toutes les prophéties, sont conditionnelles (« s’ils ne se convertissent pas […] si la face de la terre ne change pas »). Saint Thomas, dans la Somme contre les Gentils (l. III, ch. 154), rappelle que la prophétie d’Isaïe sur la mort d’Ezéchias et celle de Jonas sur la destruction de Ninive ne se sont pas réalisées, « selon l’opération de Dieu qui libère et qui guérit ».
Yves Chiron