Présent, 23 août 2008
Le 19 octobre prochain aura lieu, dans la basilique de Lisieux, la béatification de Louis et de Zélie Martin, les parents de Marie-Françoise Thérèse Martin, connue pour l’éternité désormais sous le nom de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus ou sainte Thérèse de Lisieux.
C’est la deuxième fois que l’Eglise béatifie un couple marié. La première fois, c’était en 2001 avec la béatification de Luigi et Maria Beltrame Quattrochi, parents de quatre enfants : deux fils devenus prêtres, une fille devenue religieuse et une autre qui a vécu comme vierge consacrée.
Les époux Martin furent les parents de neuf enfants, dont quatre moururent en bas âge. Sainte Thérèse dira : « Le bon Dieu m’a donné un père et une mère plus dignes du Ciel que de la terre, ils demandèrent au Seigneur de leur donner beaucoup d’enfants et de les prendre pour Lui. Ce désir fut exaucé, quatre petits anges s’envolèrent aux Cieux, et les cinq enfants restés dans l’arène prirent Jésus pour Epoux. » Les cinq filles de la famille Martin entrèrent en effet au couvent et si l’une « revint dans le monde », elle y vécut « comme étant dans le cloître ».
Les parents Martin ont tous deux une grandeur d’âme exceptionnelle et une foi admirable. Tous deux, avant de se marier et avant de se connaître, ont voulu se consacrer totalement à Dieu : lui en se présentant au monastère du Grand-Saint-Bernard, elle en demandant son admission chez les Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. Dans les deux cas, ce leur fut refusé. Mais on comprendra que leur désir, non exaucé, de vie religieuse leur ait fait comprendre et accepter la vocation religieuse de leur cinq filles.
Leur grand désir de perfection des époux Martin fera aussi que, pendant neuf mois après leur mariage, ils garderont une chasteté absolue. Puis, sur « l’injonction d’un confesseur clairvoyant », ils abandonneront cette voie très exceptionnelle. Là aussi, on comprend que pour l’avoir pratiquée un temps dans leur mariage, Louis et Zélie Martin ont d’autant mieux accepté et compris la valeur de la virginité perpétuelle vécue dans la vie religieuse.
L’Eglise, en offrant, aux fidèles, les époux Martin en modèles, met donc à l’honneur les aspirations à la vie religieuse (même quand elles étaient trompeuses) et met à l’honneur la virginité (même temporaire). Sans oublier la chasteté, car il est vrai, comme l’a rappelé Jeanne Smits le 15 août dernier, que c’est à la lumière du don total à Dieu dans la virginité consacrée « que se mesure la chasteté conjugale ». Nos contemporains, aveuglés, désensibilisés et bouleversés quotidiennement par l’invasion pornographique, ont oublié le sens et la valeur de la virginité et de la chasteté.
Est-ce à dire que la vie des époux Martin et de leurs enfants fut, dans le siècle, comme celle d’une famille au couvent ? L’image, qui risque d’être mièvre, est fausse. En devenant épouse puis mère de famille, Zélie Martin n’a pas abandonné son métier de dentellière, elle est restée à la tête d’une petite entreprise de fabrication de la célèbre « dentelle au point d’Alençon ». Son mari va en commercialiser la production, avec de fréquents voyages à Paris.
Louis Martin, s’il va à la messe tous les matins et s’il fait partie d’une Congrégation du Saint-Sacrement, n’est pas comme un moine vivant dans le siècle. Il aime la pêche, jouer au billard, fabriquer son cidre, chanter des chansons pour ses enfants. Il est aussi, ce qu’on appellerait aujourd’hui, un « chrétien engagé ». Il adhère à l’Œuvre des Cercles catholiques d’Albert de Mun et de René de la Tour du Pin, il assiste aux conférences qu’ils organisent, il est membre des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul, il est abonné à la Croix, il aime les pèlerinages (à Notre-Dame des Victoires de Paris, à Chartres, à Lourdes), il aime les retraites à la Trappe de Mortagne.
Zélie Martin, tertiaire franciscaine, est active, spontanée, tandis que son mari est plus silencieux et discret. Leur complémentarité fait leur force et leur bonheur. Les épreuves, pourtant, ne leur ont pas manqué. En 1877 – la future Thérèse de l’Enfant-Jésus avait quatre ans et demi –, Zélie Martin meurt d’un cancer du sein. Louis Martin, atteint d’une artériosclérose cérébrale à la fin des années 1880 (ce qu’on appelle aujourd’hui la maladie d’Alzheimer), devra être interné durant trois ans.
Par ces épreuves, la famille Martin est proche des épreuves physiques et morales que connaissent toutes les familles, conséquence de la finitude de notre existence sur terre. Zélie puis Louis Martin, comme leurs filles, les ont vécues ni dans la révolte contre Dieu ni dans la résignation mais dans une vision surnaturelle de l’existence où le chrétien sait que cette terre, périssable, n’est pas le terme de son chemin.
Yves Chiron
Le docteur Robert Cadéot, lecteur de Présent de la première heure, a publié la biographie de Louis Martin en 1985 et celle de Zélie Martin en 1990 (les deux ouvrages ont été réédités en 1996 aux éditions François-Xavier de Guibert). On lira aussi avec intérêt et admiration les lettres de Zélie et de Louis Martin, Correspondance familiale. 1863-1885, Cerf, 2004.