samedi 17 janvier 2009

[Présent] La vocation monastique – Yves Chiron - 17 janvier 2009

[Présent] La vocation monastique – Yves Chiron - 17 janvier 2009

Il y a trente ans, en novembre 1977, Dom Gérard, prieur du monastère Sainte-Madeleine encore installé à Bédoin, donnait une conférence à Paris, à la Mutualité, devant un vaste public. Il voulait rappeler « la signification profonde de la vie monastique dans le monde moderne ». La première signification de la vie monastiquement consacrée est de se vouer à la contemplation, qui prend d’abord des voies réglées : « l’adoration, l’admiration, la louange ».

Ce faisant, la vie monastique est témoignage, face à l’oubli mondain de Dieu, mais elle est aussi anticipation de la vie éternelle, de la vie en Dieu qui sera toute contemplation, louange et amour. On peut ajouter que nous, pauvres pécheurs dans le siècle, nous savons cela, le plus souvent, par les livres, par les bons auteurs ; le moine le sait par expérience, par la vie quotidienne.

La vie contemplative du moine a, disait aussi Dom Gérard, une valeur apostolique. La gratuité de sa vie retirée, de sa vie de prière, n’est pas sans fruits immédiats pour lui, sans doute, mais aussi pour les autres. Il y a une fécondité de la gratuité, disait Dom Gérard, par le mystère de la communion des saints. C’est ainsi que le moine, même le plus retiré du mon
de, est « un sauveur des âmes ».

Ce sont ces considérations, réconfortantes, que l’on a l’esprit lorsqu’on lit le 6e volume de la grande histoire des moines en Occident d’Ivan Gobry. Commencée, il y a plus de vingt ans maintenant, avec le premier monachisme, celui du Désert, cette fresque imposante s’était arrêtée, il y a plus de dix ans, à la fondation de l’ordre cistercien et à la grande figure de saint Bernard de Clairvaux. Elle se poursuit aujourd’hui avec un panorama des autres ordres du XIIe siècle, soit qu’ils soient créés à cette époque, soit qu’ils poursuivent leur développement.

On ne passera pas en revue les multiples ordres anciens (Cluny, Camaldules, Chartreux, Fontevrault, Grandmont, etc.) ou nouveaux (Cadouin, Savigny, Obazine) qu’Ivan Gobry évoque de manière ordonnée. On s’arrêtera à la doctrine monastique telle qu’elle s’exprime au XIIe siècle.

Un « tremplin »

Le bénédictin Pierre de Celle (1115-1183), qui fut abbé de Saint-Remi de Reims et qui termina comme évêque de Chartres, a publié, entre autres, un traité, De puritate, qui est un chemin vers la contemplation. « Cette contemplation, écrit Ivan Gobry en résumant l’ouvrage, et cette pureté intérieure qui la procure, n’ont rien de l’idéal des philosophes païens qui tentaient d’atteindre des Idées ou des vérités éternelles ; elles ont pour fin d’obtenir la parfaite conformité à Jésus-Christ, Sauveur et Modèle. Les vertus monastiques, dans toute leur rigueur et toute leur sublimité, n’ont pas d’autre but que de rendre à l’homme déchu sa splendeur première et, mieux encore, de revêtir l’humanité du Christ, qui est la pure image de dieu. Cette conformité sera réalisée dans le Ciel, où nous pourrons contempler ineffablement Celui auquel nous serons devenus semblables. »

Le « cloître matériel », dit un autre moine du XIIe siècle, le victorin Hugues de Fouilloy, n’est rien sans le « cloître spirituel » qu’il doit rechercher. Le monastère est la figure de la Jérusalem céleste. Pour Hugues de Fouilloy, résume Ivan Gobry, le cloître « n’est pas le lieu de la tranquille retraite, mais du départ vers les hauteurs ».

Près de neuf cents ans plus tard, dans d’autres de ses pages (Une Règle de vie, 1994), Dom Gérard retrouvait la même intuition : « Ce que les Pères de la vie monastique appelaient vie contemplative, nous l’appelons vie intérieure, afin de l’étendre à toute la vie, mais c’est la même réalité. Non pas un renfermement sur soi mais un rayonnement surnaturel, non pas un refuge mais un tremplin, non pas un abri mais un phare. »

Yves Chiron


Ivan Gobry, Le Siècle de saint Bernard, F.-X. de Guibert, 2008.