Article d'Yves Chiron dans Présent - 22 novembre 2008
En recevant dernièrement les participants à un congrès organisé par l’Académie pontificale pour la vie, Benoît XVI a rappelé que l’Eglise n’est pas opposée aux dons d’organes : « l’acte d’amour que l’on exprime par le don de ses organes vitaux reste un véritable témoignage de charité qui sait regarder au-delà de la mort pour que la vie l’emporte toujours ».
Mais son discours contient une mise en garde et une interrogation qu’on ne saurait négliger.
La mise en garde vise la marchandisation des organes. « Le corps ne pourra jamais être considéré comme un simple objet », le prélèvement d’organes ne peut être « un acte forcé », il doit faire l’objet d’un « consensus informé ».
L’interrogation est tout aussi importante. Le Pape juge « nécessaire de lever les préjugés et les malentendus, de dissiper les méfiances et les peurs pour les remplacer par des certitudes et des garanties ». La « méfiance » et la « peur » qu’évoque Benoît XVI ont notamment trait à la constatation de la mort.
Pie XII, le premier, avait donné le jugement de l’Eglise sur ces sujets : le 30 septembre 1954, dans une allocution au VIIIe Congrès de l’Association médicale internationale, puis, plus longuement, dans une allocution à l’Association italienne des donneurs de la cornée, le 13 mai 1956. À cette époque, le don d’organes en était à ses débuts. Dans le deuxième document cité, le Pape avait donné une « orientation » très développée qui considérait la question selon différents aspects (médical, juridique, moral et religieux).
Pour résumer l’enseignement de Pie XII sur le sujet, on peut relever plusieurs points. Enlever un organe à un défunt pour secourir un vivant n’est pas une atteinte à un bien ni la privation d’un droit, car « le cadavre n’est plus, au sens propre du mot, un sujet de droit, car il est privé de la personnalité qui, seule, peut être sujet de droit ». Pour autant, les proches du défunt, les membres de sa famille en premier lieu, ont des droits et des devoirs, et donc, de ce premier point de vue, les transplantations d’organes peuvent « ne pas être irréprochables et même être directement immorales ». Par exemple si elles sont faites sans l’accord de la famille ou contre la volonté exprimée par le défunt.
Deuxième aspect envisagé par Pie XII : le cadavre ne peut être réduit à une « chose ». « Le corps était la demeure d’une âme spirituelle et immortelle, partie constitutive essentielle d’une personne humaine dont il partageait la dignité ». Ce corps mort est destiné à la résurrection et à la vie éternelle. Donc « il ne suffit pas d’envisager des “fins thérapeutiques“ pour juger et traiter convenablement le corps humain ».
Troisièmement, le don d’organes ne peut être une obligation, « un devoir ou un acte de charité obligatoire », « il faut respecter la liberté et la spontanéité des intéressés ».
Enfin, Pie XII demandait que les pouvoirs publics prennent « des mesures pour qu’un “cadavre“ ne soit pas considéré et traité comme tel avant que la mort n’ait été dûment constatée ».
C’est sur ce point précis que porte aujourd’hui l’interrogation de Benoît XVI.
Contestation du rapport de Harvard
Il y a quarante ans, le 5 août 1968, par ce qu’on a appelé la déclaration de Harvard ou le rapport de Harvard, publié dans le Journal of American Medical Association, le concept de mort encéphalique s’est imposé : la mort cérébrale (ou électro-encéphalogramme plat) devenait le signe de la mort clinique en remplacement de l’arrêt du système cardio-vasculaire. Tous les pays du monde se sont alignés sur ce concept de mort cérébrale.
L’Eglise, elle aussi, a accepté cette définition clinique de la mort. Mais, depuis une quinzaine d’années, des voix autorisées la remettent en cause. On citera, par exemple, le cardinal Meisner, archevêque de Cologne. En 1996, alors qu’une nouvelle loi sur la transplantation des organes était en discussions en Allemagne, il a fait une déclaration forte : « En l’état actuel du débat, l’identification de la mort cérébrale et de la mort de l’homme ne peut plus être soutenue d’un point de vue chrétien. L’homme ne peut pas être réduit à ses fonctions cérébrales. On ne peut pas dire que la mort cérébrale signifie la mort, ni qu’elle soit un signe de mort. »
Plus récemment, c’est en première page de l’Osservatore romano (3 sept. 2008), qu’une professeur de l’université romaine de La Sapienza, Lucetta Scaraffia, affirme que la notion de mort cérébrale est remise en cause par de nombreux scientifiques et qu’elle « entre en contradiction avec le concept de la personne de la doctrine catholique et avec les directives de l’Eglise face aux cas de comas dépassés ».
La remise en cause de la définition de la mort clinique n’est pas sans conséquence sur le don d’organes. Dans le Compendium du Catéchisme de l’Eglise Catholique, le principe défini est clair : « Pour que soit réalisé l’acte noble du don d’organes après la mort, on doit être pleinement certain de la mort réelle du donneur » (n° 476).
Yves Chiron