samedi 15 novembre 2008

[Présent] L’avenir du christianisme en Inde

Article d'Yves Chiron - Présent - 15 novembre 2008

Régulièrement, depuis des décennies, des Chrétiens, en Inde, sont victimes de persécutions violentes. La dernière vague de violences a touché l’état de l’Orissa, sur la côte est du sous-continent indien. Après l’assassinat, le 23 août dernier, d’un chef hindouiste (revendiqué, finalement, par la guérilla hindouiste), une véritable « chasse aux chrétiens » s’est engagée (cf . Présent du 23 oct. 2008). Des dizaines de chrétiens ont été tués, des milliers de maisons ont été détruites ou endommagées, des dizaines de milliers de personnes se sont réfugiées dans les forêts ou dans des camps improvisés. Nombre d’églises de la région ont été incendiées ou ont subi des destructions.

Ces violences sont apparemment le fait d’hindouistes extrémistes. Effectivement, il existe en Inde des mouvements hindouistes qui sont décidés à empêcher les conversions par tous les moyens, légaux ou violents, parce qu’elles mettent en péril, selon eux, la nation indienne. Mais les violences commises ces dernières semaines contre les Chrétiens ne sont pas le fait des seuls militants hindouistes extrémistes. Dans l’état de l’Orissa, comme dans le passé dans d’autres états indiens, une partie de la population locale s’est laissé entraîner à des actes d’une brutalité inouïe.

Faut-il ne voir là que les manifestations d’un instinct grégaire irréfléchi ? Ou l’intolérance religieuse est-elle au cœur de l’hindouisme ? Catherine Clémentin-Ojha, une sociologue française, diplômée d’hindi et de sanscrit, docteur en ethnologie, qui séjourne fréquemment en Inde, explique, dans un livre, comment et pourquoi le christianisme reste en Inde la religion d’une minorité, le plus souvent mal acceptée.

Elle rappelle qu’en Inde, le christianisme présente plusieurs caractéristiques. Il est très minoritaire : ce pays de plus d’un milliard d’habitants ne compte que 3 % de chrétiens. Le christianisme est socialement marqué : 60 % des Chrétiens sont d’origine « intouchable ». Il est très diversifié : non seulement, il y a des catholiques et les confessions protestantes les plus diverses, mais chez les catholiques coexistent des rites différents. Les Chrétiens du Kerala, au sud-ouest de la péninsule, ont été évangélisés, selon la tradition, par l’apôtre saint Thomas catholiques et sont de rite syro-malabare ; dans d’autres régions de l’Inde, le catholicisme remonte aux missionnaires portugais du XVIe siècle et sera de rite latin. Enfin, à la différence d’autres minorités religieuses (sikhs ou musulmans), les chrétiens indiens ne se caractérisent ni par une langue particulière, ni par une façon particulière de se vêtir, ni par une culture chrétienne spécifique (hormis les lieux de culte, imités des églises occidentales).

Castes et ordre social

Au-delà des croyances, évidemment incompatibles, chrétiens et hindous ont des conceptions radicalement différentes de la société. Ce ne sont pas seulement les hindouistes extrémistes qui sont hostiles aux conversions et au prosélytisme, mais l’ensemble des hindous. On est hindou par sa naissance et l’on ne peut se convertir à l’hindouisme. « Du point de vue hindou, dit Catherine Clémentin-Ojha, se convertir c’est ne plus pouvoir suivre les règles du groupe, mettre en danger la pureté de celui-ci et se mettre soi-même au ban de son groupe […] la conversion est la contraction d’une souillure ».

Du point de vue hindou, cette souillure pourra être effacée par des rites de purification, ce que les chrétiens considèreront comme une apostasie.

Si l’on se réfère à la très longue Constitution indienne – 395 articles –, on constate qu’elle interdit toute discrimination fondée sur la religion (art. 15), assure la liberté de conscience et même le droit de propager sa religion (art. 25) mais elle réduit les non-hindous au statut de minorité.

En outre, plusieurs états de l’Inde ont voté des lois pour contrôler voire empêcher les conversions. Catherine Clémentin-Ojha fait remarquer : « Ces lois interdisent l’exercice plein du droit garanti par la Constitution. Celui qui veut se convertir et vit dans un Etat dans lequel une telle loi a été votée est obligé d’aller se déclarer auprès d’un fonctionnaire pour faire connaître son intention. Il subira un interrogatoire pour savoir s’il fait cette démarche de son plein gré. En général, les gens qui se convertissent sont des gens de très basse caste, des tribaux, qui sont le plus souvent peu instruits ; on voit bien que ces mesures sont destinées à les décourager et donc à ralentir le processus ».

Les persécutions violentes contre les Chrétiens ne sont donc pas seulement le fait d’un extrémisme religieux hindou, elle sont l’expression paroxystique d’une volonté, inscrite dans la Constitution indienne, de limiter les minorités.

Yves Chiron

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Catherine Clémentin-Ojha, Les Chrétiens de l’Inde. Entre castes et Eglises, Albin Michel, 298 pages. Cf. aussi le long entretien qu’elle a accordé au site suisse Religioscope.